Qu'est l'art ?

Aurélien Barrau posait la question…

Je reprends un article online d’une site « philosophique ».

Qu’est-ce que l’art ?

La difficulté à définir l’art aujourd’hui tient à ce que le statut de l’art est devenu problématique.

Qu’est-ce qui est de l’art ? Qu’est-ce qui n’en est pas ?

Questions qui selon certains ne seraient plus à poser : est art ce qui est désigné par le mot, peu importe de quoi il s’agit. Des excréments en boîte sont de l’art puisque des musées les achètent et que le titre même de l’ « œuvre » : » Merde de l’artiste » fait référence à l’art. (Piero Manzoni)

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http://fr.wikipedia.org/wiki/Merde_d%27artiste

On peut en effet se complaire dans cette confusion, dans cet « art à l’état gazeux » (Yves Michaud).

http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Art_%C3%A0_l%27%C3%A9tat_gazeux

Mais on peut aussi, et c’est cette voie que nous suivrons, penser que tout n’est pas de l’art et qu’il convient de faire, là encore, le tri. Comme toute forme culturelle n’est pas forcément civilisée, toute prétendue œuvre d’art[1] n’est pas forcément de l’art.

Pour que l’art soit totalement accessible à la marchandisation et à la spéculation, il fallait que les critères permettant de distinguer s’évanouissent, deviennent « vaporeux ». Comme dans le conte d’Andersen, le roi est nu, et c’est celui qui est le moins contaminé par la vanité absolument démente qui règne dans le milieu de l’art contemporain qui peut le dire, ou le faire savoir.[2]

L’art est l’activité humaine visant à exprimer les préoccupations, les croyances, les questions sous une forme telle qu’elle traduise les émotions et les sentiments que les hommes éprouvent en y pensant.

L’art n’a donc pas n’importe quel contenu, il prend pour objet ce qui émeut l’homme, ce qui le concerne intimement, ce qui renvoie aussi bien à des thèmes éternels qu’à des préoccupations précises, liées à un contexte particulier.

On comprend alors pourquoi l’art est le meilleur moyen dont on puisse disposer pour pénétrer dans l’esprit d’une culture. Et qu’il soit aussi le meilleur moyen pour se comprendre soi-même.

Ce qui n’implique pas qu’il ne puisse y avoir d’art « léger », voire purement décoratif. Mais même si le contenu est presque insignifiant, l’art ne nous touche que lorsqu’il parvient à nous émouvoir, ne serait-ce qu’en nous laissant aller à la rêverie.

Mais comment l’art parvient-il à nous toucher ? Quelle est la forme d’expression qui serait le propre de l’art ?

Toute expression n’est pas artistique. Il peut y avoir une expression très « technique », très ordinaire, très « documentaire », ce n’est pas une expression artistique. (Sauf s’il s’agit de provoquer un contraste émotionnel entre l’émotion attendue et le traitement « neutre » et « objectif » par l’œuvre.)

Prenons comme référence le langage commun. Il repose sur un principe : la relation entre le signifié et le signifiant est conventionnelle, elle n’est pas inscrite dans le signifiant lui-même. Rien ne prédisposait les phonèmes composant le mot « arbre » à désigner le concept d’arbre. La preuve en est que le même concept (signifié) peut être exprimé par des sons différents : Tree, Baum…

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C’est ainsi que le linguiste Ferdinand de Saussure analyse le signe linguistique. « Le lien unissant le signifiant au signifié est arbitraire, ou encore, puisque nous entendons par signe le total résultant de l’association d’un signifiant à un signifié, nous pouvons dire plus simplement : le signe linguistique est arbitraire. »

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On peut faire l’hypothèse que l’art cherche au contraire une relation qui ne soit pas purement conventionnelle entre le contenu de l’œuvre, c’est-à-dire l’intention de l’artiste, et sa forme matérielle. Une relation non-arbitraire entre les deux aspects serait une relation d’adéquation. Cette adéquation fait la réussite de l’œuvre, c’est-à-dire, en un de sens du mot, sa beauté.

Prenons un exemple dans la poésie. La poésie a recours aux mots, et pourtant elle va parvenir à susciter chez celui qui la lit ou l’écoute une émotion que le langage ordinaire ne suffirait à déclencher. Ainsi si je veux dire à quelqu’un que je me sens triste parce que c’est l’automne et qu’il y a du vent, je ne parviendrai pas à susciter chez mon auditeur le sentiment que j’éprouve, pas plus d’ailleurs que je n’aurais l’impression d’y être parvenu pour moi-même. Certes, s’il me connaît bien ou s’il est particulièrement capable d’empathie, il se sentira un peu ému en comprenant que je suis triste, mais il n’éprouvera pas ce que cette tristesse a de particulier. Par contre, le poème que Verlaine consacre au même thème y parvient très bien :

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Chanson d’Automne

Les sanglots longs                                                                                            

Des violons
De l’automne
Blessent mon coeur
D’une langueur
Monotone.

Tout suffocant
Et blême, quand
Sonne l’heure,
Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure

Et je m’en vais
Au vent mauvais
Qui m’emporte
Deçà, delà,
Pareil à la feuille

Morte.

  Paul Verlaine (1844-1896)

Que s’est-il passé, sinon que la manière de dire parvient à ressembler à ce qui est dit ? Les sonorités des mots, le rythme, la force des images, tout cela incite l’âme à se laisser emporter vers le même état.

Bien sûr, on dira que cette ressemblance entre le contenu et la forme n’est pas si évidente que cela. Elle suppose, pour être reconnue, que l’on soit relativement familier avec la langue française, que l’on ait même une certaine sensibilité et donc que celle-ci ait dû être cultivée. Mais cela n’enlève rien à l’hypothèse que nous défendons : le rapport entre le signifiant et le signifié n’est pas arbitraire ou purement conventionnel. Ce qui fait qu’une œuvre est ratée, c’est que justement cet accord entre le fond et la forme ne s’y trouve pas. Cela peut venir de ce que la forme est beaucoup trop conventionnelle justement, c’est ce que l’on appelle le « cliché ». Ou bien en ce qu’elle n’est qu’une illustration d’un concept, sans que l’on puisse retrouver dans sa particularité autre chose que ce qui peut être pensé.

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C’est le cas de l’œuvre de propagande : on voit bien le rapport, mais celui-ci finit par s’effacer au profit du seul concept : quand on sait ce que cela veut dire, on n’a plus besoin de regarder, ou d’entendre, ou de lire ; on a « compris ». Cela peut provenir aussi de ce que l’émotion est trop prégnante, grossière, rendant impossible la participation de celui qui a des sentiments plus individuels.

L’œuvre doit rester mystérieuse, et elle peut l’être sans cesser de vouloir dire quelque chose. C’est une erreur de croire que le mystère renvoie à une sorte d’arbitraire de l’imagination individuelle. Non que l’imagination n’intervienne pas, chacun appréciant l’œuvre selon sa personnalité. Mais elle est en quelque sorte guidée et ne peut aller n’importe où. Celui qui lirait le poème de Verlaine cité plus haut et qui aurait envie de rire ou de sautiller ne l’aurait pas compris, ou plutôt n’aurait pas été capable de le ressentir.

Ce lien mystérieux entre le contenu et la forme, lien de ressemblance mais sans soumission de la forme au fond, il nous reste à l’éclairer davantage. Pour y parvenir, aidons-nous de la réflexion de Kant sur la beauté pure. Ce philosophe parle de la beauté pure comme ce qui échappe justement au concept. Lorsque les perceptions que nous recevons nous suggèrent des images et que celles-ci nous incitent à penser sans que pourtant nous puissions arrêter ce flux d’images, alors a lieu l’expérience de la beauté pure. Pure veut dire ici « sans concepts ».

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Nous n’avons pas besoin de  savoir ce que c’est pour  éprouver un plaisir à laisser notre sensibilité, notre imagination et notre pensée jouer librement. Dans l’expérience courante, objectivante, ce libre jeu n’a pas lieu. Nous arrêtons en quelque sorte l’imagination parce que nous recherchons le concept. Ou plutôt le concept est déjà là, n’attendant que les stimuli sensoriels pour superviser la formation de l’image. Nous reconnaissons des objets, et notre imagination est sous la direction de l’entendement. Il faut que nous « comprenions » ce que nous voyons ou écoutons. Au contraire, dans l’expérience proprement esthétique, nous ne « comprenons » jamais totalement, le libre jeu continue. Les concepts n’épuisant pas la source des images, nous revenons vers elle et nous en retirons d’autres images, qui vont entraîner d’autres pensées. Nous sommes alors dans une situation de contemplation, au lieu d’être dans une recherche d’actions à exécuter. Kant donne des exemples très simples des objets propres à susciter cette attitude de contemplation : le feu dans la cheminée, l’eau qui coule… Remarquons qu’il ne s’agit pas ici d’œuvres d’art, mais d’objets « naturels », même si pour pouvoir les contempler il a fallu les « installer » dans une situation où nous puissions les apprécier sans soucis. Mais cette fascination pour des sensations qui se prêtent facilement à des combinaisons multiples se retrouve aussi dans les œuvres d’art. Peut-être même que cette propriété de déclencher un libre jeu de nos facultés est ce qui caractérise en propre l’œuvre d’art, en tant qu’elle est vraiment œuvre d’art.

Prenons comme exemple la peinture impressionniste. Rappelons que ce terme est à l’origine une sorte de critique moqueuse. Le peintre Claude Monet expose en 1874 un tableau qu’il a intitulé « Impression, soleil levant ».

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Claude Monet ; Impression, soleil levant ; 1872.

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Les critiques d’art officiels, soutenant l’académisme se gausseront alors de « l’impressionnisme ». Or que vise ce courant où l’on trouve des peintres pourtant très différents comme Monet, Renoir, Pissarro, Sisley, Morisot, Degas, Cézanne ? Le thème majeur de l’impressionnisme est le retour à une perception « pré-objectivante », à une vision qui mélange la subjectivité du ressenti à la lumière des choses. A l’opposé de la peinture académique qui est fondée sur le dessin et cherche à se faire en quelque sorte oublier comme peinture, les peintres impressionnistes vont privilégier la lumière, le chatoiement des couleurs, l’ambiance fugitive et charmeuse des moments qui passent et ne reviendront plus. Qu’importe ce que les choses sont censées « être », ce qui importe c’est ce qu’elles sont en nous, pour nous qui les faisons surgir par notre sensibilité. Aussi faudra-t-il abandonner le contour, réduire l’importance du dessin, et appliquer les couleurs par petites touches, en cherchant à rendre la vibration de la lumière plutôt que ce que l’on sait être les couleurs des choses. L’objet perd d’ailleurs de sa valeur en tant qu’il serait « important » ou culturellement valorisé. L’impressionnisme va délaisser les thèmes classiques tirés des sujets mythologiques ou historiques pour peindre des ambiances, des reflets, des instants où justement la vision habituelle se brouille et où le monde devient mystérieux. Il va de soi que si c’est de cela dont il s’agit, le dessin qui définit et limite est à rejeter ou du moins à restreindre (Degas y a tout de même recours), les couleurs ne doivent pas être lissées et le relief même du coup de pinceau devient un outil précieux. Il ne s’agit pas de retrouver une ressemblance convenue avec les choses, mais de rendre un effet d’ensemble, ce qui suppose que les couleurs soient étudiées pour leur pouvoir de se combiner de façon à vibrer entre elles. L’invention de la photographie en 1824 a sans doute aussi contribué à créer ce retour vers une vision volontairement floutée, loin de la recherche d’un réalisme objectiviste.

On voit donc bien ici que le contenu appelle sa propre forme, et que cette forme cessera d’être pertinente lorsqu’un autre contenu émergera.

On remarquera aussi que si le contenu ne doit pas écraser la forme en la réduisant à un simple exemple, l’œuvre  d’art impressionniste laisse les sensations composer un ensemble qui ne peut être entièrement circonscrit et auquel on revient comme à la source fascinante qui ne cesse de nous stimuler.

Mais comment expliquer l’évolution d’une grande partie de l’art contemporain ?

Sans doute faut-il pour comprendre cette évolution prendre comme appui le mouvement dadaïste. Fondé pendant la 1ère guerre mondiale (20 millions de morts, autant de blessés), il est une réaction à un monde où la civilisation s’est retournée contre l’homme.

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 Comment être « artiste » dans une société où le « Progrès » aboutit à asservir l’homme à des rouages industriels, financiers, militaires ? Le dadaïsme s’inscrit dans une révolte contre ce monde et les puissances qui y règnent. Il s’agit de dénoncer et  de refuser la séparation entre le prétendu « sérieux » de la vie et la compensation artistique qui est censée racheter les péchés d’un système antihumain. Les dadaïstes sont donc opposés à l’art lui-même dans la mesure où il leur paraît incapable de faire obstacle par ses propres forces à la nouvelle barbarie et en devient même complice puisqu’il offre de la « beauté » à ceux qui la détruisent.

Comment alors faire œuvre artistique si on refuse l’art lui-même ? La réponse est double : d’abord en ne se prenant pas au sérieux et en refusant le culte de l’œuvre, ensuite en faisant exploser le cadre où l’on voulait enfermer la beauté. La vraie beauté est dans la vie, dans n’importe quelle occasion de s’abstraire de la recherche de l’utile, de la routine, de l’ennui. Il n’y a aucun prestige de l’ « artistique », et le mieux que puisse faire un « artiste » est de se moquer de l’art.

Si on considère un des représentants les plus célèbres du mouvement « Dada », Marcel Duchamp, on trouvera dans son parcours ces deux aspects de la révolte dirigée contre l’art lui-même.

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Ainsi le premier « ready-made » qui s’intitule « roue de bicyclette » (1915) et qui consiste en une roue de bicyclette pouvant tourner fixée sur un tabouret.

Cette œuvre révèle que la beauté est partout, y compris dans des objets qui n’ont rien de particulier et que la simple manière de les mettre en perspective suffit à susciter ce que Kant mettait au centre de l’expérience esthétique : la beauté pure. D’ailleurs, il est frappant que Duchamp, parlant de son œuvre, se réfère au « feu de cheminée » :

«  La Roue de Bicyclette est mon premier readymade, à tel point que ça ne s’appelait même pas un readymade. Voir cette roue tourner était très apaisant, très réconfortant, c’était une ouverture sur autre chose que la vie quotidienne. J’aimais l’idée d’avoir une roue de bicyclette dans mon atelier. J’aimais la regarder comme j’aime regarder le mouvement d’un feu de cheminée. »

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Ce qui n’est pas sans rappeler ce qu’écrit Kant dans la « Critique de la faculté de Juger » (1790) : « Il convient encore de distinguer les belles choses des belles apparences des choses (qui souvent en raison de l’éloignement ne peuvent plus être nettement distinguées). En ce qui concerne ces dernières, le goût semble moins s’attacher à ce que l’imagination saisit en ce champ, qu’à ce qui lui procure alors l’occasion de se livrer à la poésie, c’est-à-dire aux visions proprement imaginaires, auxquelles s’occupe l’esprit, tandis qu’il est continuellement tenu en éveil, par la diversité qui frappe son regard. Il en est ainsi dans la vision des changeantes figures d’un feu en une cheminée, ou d’un ruisseau qui chante doucement, car ces choses qui ne sont point des beautés, comprennent néanmoins pour l’imagination un charme, puisqu’elles en soutiennent le libre jeu. » (Remarque générale sur la première section de l’analytique)

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Un autre « ready-made » illustre bien ce mélange et cette ambiguïté entre l’appel à une beauté « dérangeante » et la  dénonciation d’un conformisme vaniteux. Il s’agit de l’œuvre connue sous le nom de « Fontaine » (1917).

Il est instructif de reconstituer sa genèse. En 1916 est fondée à New York la « Society of independent Artists » dont Marcel Duchamp devient membre. Le principe en est que n’ importe qui peut en faire partie, moyennant une inscription sur simple formulaire, et que des expositions seront organisées afin que tout membre puisse y exposer sans qu’un jury puisse y exercer un quelconque contrôle. La première exposition doit avoir lieu à New York à partir du 9 avril 1947. Marcel Duchamp envoie une œuvre sous le nom de Richard Mutt. Il s’agit d’un urinoir acheté dans un magasin. Le comité directeur de la « Society of independent Artists » refuse l’œuvre au motif qu’il ne s’agit pas d’une œuvre d’art. Selon certains, l’envoi aurait été accompagné du titre « Bouddha de la salle de bain » et on pourrait imaginer les formes des sculptures de Bouddha assis, mais c’est le titre « Fontaine » qui a été finalement retenu. L’intention de Duchamp semble double :

  • Poursuivre l’idée selon laquelle « la beauté est partout » et qu’on peut la trouver dans un objet apparemment quelconque, pour peu que l’on décontextualise celui-ci en lui ôtant sa valeur d’usage.
  • Ridiculiser le concept même d’œuvre d’art en prenant au mot les prétentions de ceux qui se veulent les plus ouverts en ce domaine : iront-ils jusqu’au bout ?

Devant le refus des responsables de l’exposition, Marcel Duchamp démissionnera de la « Society ». Par la suite, l’œuvre originale ayant disparu, plusieurs répliques seront fabriquées à partir de la photographie de l’époque et seront « authentifiées » par Marcel Duchamp. Elles sont exposées dans des musées prestigieux et l’œuvre sera considérée comme celle qui aura le plus marqué le 20ème siècle. Une des répliques sera même vendue aux enchères pour la somme de 1,67 million d’euros. Ce destin marque bien la logique de l’art contemporain : le geste iconoclaste devient une nouvelle idole et se retrouve investi d’une valeur marchande qui annule sa portée subversive. Certains se souviendront quand même de l’esprit Dada : Pierre Pinoncelli urine dans une réplique de « Fontaine » exposée au Carré d’Art de Nîmes en 1993 et lui donne un coup de marteau. Il sera condamné à 1 mois de prison avec sursis et à 286000 Francs de dommages et intérêts. Ce qui ne l’empêchera pas de recommencer à attaquer « Fontaine » au marteau au Centre Beaubourg en 2006. Lors de son procès à Nîmes il déclara qu’il s’agissait  « d’achever l’œuvre de Duchamp, en attente d’une réponse depuis plus de quatre-vingts ans ; un urinoir dans un musée doit forcément s’attendre à ce que quelqu’un urine dedans un jour, en réponse à la provocation inhérente à la présentation de ce genre d’objet trivial dans un musée […]. L’appel à l’urine est en effet contenu ipso facto – et ce dans le concept même de l’œuvre – dans l’objet, vu son état d’urinoir. L’urine fait partie de l’œuvre et en est l’une des composantes […]. Y uriner termine l’œuvre et lui donne sa pleine qualification. […] On devrait pouvoir se servir d’un Rembrandt comme planche à repasser ».

Se trouve ici en condensé la situation de la plus grande part de l’art contemporain : une récupération officielle et spéculative d’une tentative subversive qui a fini par aboutir au pire : l’équivalence généralisée de tout et de n’importe quoi. Un tableau de Rembrandt comme planche à repasser, ou une planche à repasser qui devient aussi chère qu’un tableau de Rembrandt, c’est la réalité du marché de l’art puisque la valeur financière des « œuvres » est totalement déconnectée de leur valeur esthétique.

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Ce qui ne signifie pas pour autant que l’art est mort, comme le disait Hegel. Il est toujours nécessaire, et peut-être plus que jamais, d’exprimer ce qui hante le cœur des humains. Mais à l’époque de la marchandisation et de l’industrialisation de l’art, cette tâche est d’autant plus difficile qu’il est bien plus aisé (et plus lucratif) de continuer à singer les dadaïstes, à moins que l’on ne songe simplement qu’à divertir les foules en les abrutissant.


[1] La notion d’œuvre est devenue pratiquement obsolète, elle est remplacée par celle, plus savante, de « dispositif ». Un dispositif a cet avantage de pouvoir éventuellement se passer de toute intervention humaine, et de fonctionner tout seul, alors même qu’il prétend déclencher une expérience.

[2] Voir la façon dont une femme de ménage a « endommagé », croyant faire son travail, une œuvre assurée pour la somme ubuesque de 800 000 €.  http://bigbrowser.blog.lemonde.fr/2011/11/04/sale-une-femme-de-menage-detruit-une-partie-dune-oeuvre-dart-dune-valeur-de-800-000-euros/

Ref : http://philosophia.over-blog.com/article-qu-est-ce-que-l-art-92580818.html